Elfriede JELINEK
prix Nobel 2004
“Pour le flot de voix et de contre-voix dans ses romans et ses drames qui dévoilent avec une exceptionnelle passion langagière l'absurdité et le pouvoir autoritaire des clichés sociaux.”
Elfriede Jelinek naît le 20 octobre 1946 dans la ville de Mürzzuschlag en Autriche, de parents issus de milieux très différents et représentatifs de l’Autriche d'alors.
Son père est un chimiste juif d’origine tchèque, employé à la recherche de matériel de guerre entre 1941 et 1945. De cette façon, il échappe aux persécutions qui tuèrent de nombreux membres de sa famille. Politiquement engagé, socialiste, c’est à lui que Jelinek attribue en partie son désir d’écrire, de se battre avec les mots.
La mère d’Elfriede, catholique autoritaire, vient d’une famille de la haute bourgeoisie viennoise et s’occupe de l’éducation de sa fille, la surveillant rigoureusement. Elfriede Jelinek prend des cours de piano, d’orgue, de flûte à bec, et à 16 ans entre au Conservatoire de Vienne où elle étudie la composition musicale. Après son diplôme de fin d’études au lycée de Vienne, elle suit des cours de théâtre et d'histoire de l’art à l’Université de Vienne, tout en poursuivant ses études de musique. A vingt ans, elle a très peu d’expérience de la vie et de la culture populaire. Elle ne fréquente pas les jeunes de son âge mais devient une lectrice acharnée quand elle découvre la littérature. Elle dévore sans à priori bandes dessinées, romans à l’eau de rose, romans policiers.
Au cours de son enfance et de son adolescence, elle est plusieurs fois conduite par sa mère chez des psychiatres, pour « hypermotricité » d'abord et plus tard pour dépression. C’est à cette époque que son père, lui même victime de désordres psychiques (un traumatisme dû, selon elle, à son passé dans les usines nazies comme chimiste), sombre plus profondément dans la maladie. Il meurt dans un hôpital en 1968 : Elfriede Jelinek a 22 ans.
Elle commence alors à exprimer sa révolte à travers la littérature. Très tôt elle écrit des poèmes, d'abord publiés dans d'importantes revues d’avant-garde autrichienne, Protokolle et Literatur und Kritick. Malgré son jeune âge, elle est couronnée de distinctions. En 1969 elle reçoit « Le Prix Autrichien de Poésie des Collèges Littéraires » et « Le Prix de Poésie et Prose de la Semaine Autrichienne de la Culture pour Jeunesse". Ce deuxième prix lui est décerné pour un recueil de poèmes subversifs et libidinaux suscitant l’indignation de la presse conservatrice locale, qui s'exclame « Mais où va l’état autrichien s’il récompense de pareilles cochonneries ! »
Cherchant un plus grand espace narratif pour exprimer ses idées, elle se tourne vers les romans, dans lesquels elle oriente son écriture vers la critique sociale. Son premier roman, Wir sund lockvogel baby ! (Nous sommes des appeaux baby !) paraît en 1970 : le titre seul révèle une résistance contre la culture populaire transmise par un langage qui n’est plus un média mais une manifestation médiatique.
Après quelques années passées à Berlin et à Rome au début des années 70, Elfriede Jelinek épouse Gottfried Hungsberg en 1974, date à laquelle elle adhère au parti communiste. « Non pas pour glorifier la RDA ou l’Union Soviétique. Je pensais que, dans cette Autriche, il devait y avoir une voix contre le consensus, une opposition. » En 1991 elle quittera le parti, en même temps que ses deux présidents, Susanne Kohn et Walter Silbermeyer.
Ses romans suivants, Les Amantes (1975) et Les Exclus (1980) révèlent un ton iconoclaste et satirique soulignant son refus d’accepter un langage qui n’est que le jouet des structures du pouvoir. Elle réécrit avec amertume et ironie tous les discours du pouvoir (industriel, politique, émotionnel, culturel, médiatique) qui mécanisent et enchaînent les individus, et notamment les femmes.
Parallèlement elle écrit des pièces radiophoniques. Très présente dans la sphère théâtrale, cadre idéal pour ses monologues polyphoniques et textes prismatiques, son oeuvre comprend quelques trente pièces.
Talentueuse et diversifiée, elle traduit Thomas Pynchon, Georges Feydeau, Eugène Labiche et Christopher Marlowe.
En 1988, elle publie La Pianiste, son roman le plus autobiographique et sa première grande réussite internationale. Découverte par Jacqueline Chambon, alors directrice de collection chez Actes Sud, puis traduite par Yasmin Hoffmann et Maryvonne Litaize, elle est le premier auteur publié par l’éditrice, aux toutes récentes Editions Jacqueline Chambon en 1988. C’est dans ce roman qu’Elfriede Jelinek explore sa vie de jeune fille cernée par les tabous.
En 2001 le roman est adapté pour l’écran par Michael Haneke, avec Isabelle Hupert dans le rôle principal.
En 1995 est publié Die Kinder der toten (Les Enfants des morts) roman dans lequel elle revient inlassablement sur la négation de la mémoire collective d’une Autriche qui, selon elle, se voit comme première victime de l’agression nazie, et non pas son collaborateur. Elle n’hésite jamais à exhumer un passé traumatisé enfoui, soit le sien, soit celui de son pays natal.
Elfriede Jelinek est en première ligne de combat contre la montée de l’extrême droite FPO de Jorg Haider, qui, après une réussite électorale significative en 2000, entre dans le gouvernement autrichien. En signe de protestation, elle interdit la même année que l’on joue ses pièces en Autriche. L’extrême droite lance la contre-attaque : dans les quartiers ouvriers de Vienne des affiches posent cette question « Aimez-vous Scolten, Jelinek, Haupl, Peymann, Pasterk…ou l’Art et la Culture ? »
En 2003, elle publie Avidité, avant de recevoir en 2004 le Prix Nobel. Trop malade pour se rendre à Stockholm, « Je ne suis pas en état actuellement de m’entretenir avec les gens », elle déclare néanmoins que la distinction ne devra pas être considérée comme « Une fleur à la boutonnière de l’Autriche ».
Explorant les médias les plus récents, Elfriede Jelinek écrit aussi sur son propre site internet.